Une existence de légende
On a dit de la peintre mexicaine Frida Kahlo qu’elle était la femme artiste la plus connue du XXe siècle, voire de l’histoire entière, ce qui est sans doute exact mais aussi un peu paradoxal : si ses tableaux troublants et originaux sont bien ce qui l’a initialement fait connaître, l’explication de sa célébrité déborde à l’évidence de beaucoup son art et sa place dans l’histoire de la peinture. De fait, autant qu’à cause de ses œuvres, Frida Kahlo est aujourd’hui connue de millions de gens en raison de sa vie, plus particulièrement comme membre du couple mythologique qu’elle formait avec le peintre muraliste Diego Rivera.
Dans son film Frida, fait observer le critique cinématographique David Edelstein, la réalisatrice Julie Traymor prints the legend. Le sens de cette remarque n’est pas l’idée banale que le film privilégie la légende sur la réalité des faits. Edelstein, qui connait ses classiques, fait ici référence à une des plus célèbres lignes de dialogue de l’histoire du cinéma, la phrase prononcée par le rédacteur en chef d’un journal à la fin de The Man Who Shot Liberty Valance, de John Ford : When the legend becomes facts, print the legend. C’est précisément ce qui s’est passé dans le cas de Frida Kahlo : la légende est devenue la réalité, et cela d’autant plus facilement que la réalité incluait déjà la légende.
En passant des heures à se costumer en tenue traditionnelle des Indiennes Tehuana et à se « décorer » de fleurs et de rubans avant de sortir faire son marché, Frida, relève l’actrice Salma Hayek, qui l’a incarnée dans ce film, « faisait d’elle-même une œuvre d’art ». On connait le mot d’Oscar Wilde, qui affirmait avoir mis son talent dans ses livres et son génie dans sa vie. Dans le même esprit, mais en plus fort et plus profond, l’incontestable génie de Frida s’exprimait indissolublement dans son œuvre, son apparence, sa vie, son comportement, ainsi que dans le mythe qu’elle a aidé à créer à son sujet de son vivant, qui explique avec quelle facilité elle a pu ultérieurement devenir l’icône des féministes, des folkloristes et des tiers-mondistes, et une figure tout indiquée pour un mélodrame biographique hollywoodien : elle avait elle-même largement préparé le terrain.
Le paradoxe est qu’on peut parfaitement prendre conscience de ceci sans cesser d’être fasciné par Frida Kahlo, souvent, la fascination qu’on éprouve pour elle s’en trouve même accrue. C’est ce qui m’est arrivé. Comme beaucoup de francophones, j’ai découvert la personnalité de Frida Kahlo grâce au beau livre de J. M. G. Le Clézio, Diego et Frida. Accroché par le personnage, j’ai cherché à en savoir davantage. A côté de celui de Le Clézio, les meilleurs livres sur elle datent d’une vingtaine d’année. Ce sont les deux ouvrages que lui a consacrés la critique d’art argentine Raquel Tibol, qui l’a connue et a été son amie (Frida Kahlo : a vida abierta et Frida Kahlo en su luz más intíma), ainsi que Frida: A Biography of Frida Kahlo de l’américaine Hayden Herrera, un modèle de biographie de peintre et d’artiste et l’une des meilleures biographies tout court qu’il m’ait jamais été donné d’avoir en main. Je suis sorti de sa lecture avec davantage encore d’admiration pour Frida Kahlo que j’en éprouvais avant de l’ouvrir.
Souffrance et passion
« Dans ma vie » aimait dire Frida Kahlo avec ce sens de la formule, ce goût de l’exagération et cet humour volontiers sarcastique qui la caractérisait, « j’ai été victime de deux graves accidents. L’un, lorsque j’ai été écrasé dans un autobus…Le second accident est Diego. »
Comme on le sait, la vie de Frida Kahlo a été un véritable calvaire de souffrances physiques. Atteinte, à l’âge de six ans, d’une poliomyélite qui lui laissera la jambe et le pied droits déformés ; souffrant peut-être, avant même cet épisode (l’hypothèse a été avancée), d’une anomalie congénitale de la colonne vertébrale - la spina bifida - dont ces déformations pourraient être aussi le signe et la conséquence, elle a été victime à l’âge de dix-huit ans d’un terrible accident de la circulation, dont elle sortira très gravement blessée : la colonne vertébrale fracturée en plusieurs endroits, la jambe droite réduite en miettes et le pied droit disloqué, le bassin écrasé. Une main courante métallique de l’autobus dans lequel elle voyageait lui avait de surcroît littéralement traversé le corps, lui déchirant l’abdomen. Toute sa vie, elle souffrira d’atroces douleurs dans le dos, la jambe et le pied droits. A son grand chagrin, jamais elle ne put mener à bonne fin une grossesse, toutes les tentatives finissant en fausses couches. Opérée à plus de trente reprises, sans résultats et souvent sans nécessité, elle dut porter un corset et rester allongée durant parfois de très longues périodes. Les traitements et les interventions occasionnant eux-mêmes de nouveaux troubles, les dernières années de sa vie ont été particulièrement pénibles, une lancinante et interminable souffrance qu’elle atténuait à l’aide d’antidouleurs à base de morphine, dont elle devint dépendante. Les ulcérations qui s’étaient installées sur sa jambe et son pied droits ne guérissant pas et se gangrénant, on dut finalement l’amputer. Quelques mois après, elle mourait, à l’âge de quarante-sept ans.
La souffrance physique est à l’origine de la peinture de Frida Kaho, qui a pris pour la première fois les pinceaux en mains pour combattre les longues journées d’ennui de la vie à l’hôpital par une activité à laquelle elle pouvait se livrer couchée. Elle est aussi un thème dominant de ses toiles, dans lesquelles elle s’est souvent employée à exorciser sa douleur et son humiliation par la représentation de son corps maltraité, dans la crudité de sa réalité anatomique et médicale.
À côté de la blessure et de la détresse physique, un autre thème récurrent des peintures de Frida Kahlo est son amour pour Diego Rivera, qui a clairement été la grande affaire de sa vie, comme elle de la sienne, d’ailleurs, mais dans une moindre mesure. Diego et Frida constituaient un couple étonnant et improbable : dominant Frida Kahlo de plus d’une tête, doté d’un ventre proéminent, Rivera était aussi grand et énorme qu’elle était menue et gracile, et le couple qu’ils formaient l’un à côté de l’autre si étrange que leur union a été décrite comme celle d’un éléphant et d’une colombe. Mythomane, fabulateur (il inventait les trois-quarts de ce qu’il racontait, plus particulièrement au sujet de sa vie), d’une ahurissante puissance de travail et une vraie force de la nature, animé d’un égoïsme d’enfant, Diego Rivera était un personnage monstrueux dans le sens littéral du terme, un phénomène, et pas uniquement dans son apparence physique.
Entre deux personnalités de ce profil et ce calibre, les rapports ne pouvaient guère être simples et paisibles. De fait, leurs relations ont été tumultueuses à souhait. Constitutivement « inapte à la monogamie », incorrigible coureur de femmes, considérant le rapport physique entre individus de sexe différent comme l’exercice d’une fonction biologique, Diego Rivera multipliait les aventures. La plus difficile à supporter pour Frida, et celle qui l’a meurtrie le plus profondément, a eu pour objet sa propre sœur, d’un an plus jeune qu’elle. Un peu en guise de représailles, mais aussi parce qu’elle avait en avait le goût et peu de préjugés dans ce domaine, Frida a eu de son côté de très nombreuses « affaires » et liaisons, certaines longues et sérieuses, dont une des plus fameuses avec Léon Trotsky ; des liaisons avec des hommes, mais aussi des femmes, notamment plusieurs amantes ou anciennes amantes de Diego. Diego les acceptait, voire même les considérait avec complaisance lorsqu’elles concernaient des femmes, mais ne les supportait pas lorsqu’il s’agissait d’autres hommes, raison pour laquelle elle devait les lui cacher, parce qu’il était d’un tempérament latin jaloux et violent. Pour toute une série de raisons dont les biographes s’évertuent à débrouiller l’écheveau compliqué, Diego et Frida, qui avaient habité dans deux maisons jumelées réunies par une passerelle, finirent par divorcer, pour se remarier plusieurs années plus tard, sans se remettre cependant à vivre comme mari et femme, en tous cas d’après la version officielle.
Au bout du compte, ils tenaient en effet férocement l’un à l’autre et pouvaient difficilement concevoir leur vie l’un sans l’autre (dans son autobiographie, Diego Rivera a déclaré que le jour de la mort de Frida avait été « le plus tragique de sa vie »). Qu’est-ce qui les tenait ainsi soudés ensemble ? Comme souvent, un mélange d’intérêts communs et de passions partagées, de sentiments réciproques et de complémentarités. Diego et Frida vivaient tous les deux largement pour leur art, ils croyaient tous les deux (elle plus encore que lui) au communisme et à la révolution, ils voulaient aider les Mexicains à retrouver et mettre en valeur les traditions indiennes. Ils se respectaient de surcroît mutuellement comme artistes, reconnaissaient et admiraient chacun avec ostentation le talent de l’autre. On a par ailleurs souvent souligné (Frida la première) tout ce qu’il y avait de féminin chez Diego Rivera ; réciproquement, Frida Kahlo, dont on a conservé des photos en vêtements d’homme, qui buvait, fumait, s’exprimait volontiers grossièrement et tenait beaucoup au léger duvet qui ombrait sa lèvre supérieure, cultivait la composante masculine de sa personnalité. Dans l’ensemble, elle était cependant pour le monstrueux enfant qu’était Diego une figure avant tout maternelle, une mère bienveillante apaisant ses états d’âme et mettant de l’ordre dans sa vie chaotique.
Du côté de Frida, les choses sont plus compliquées. Qu’était exactement Diego pour elle ? L’assez stupéfiant « portrait de Diego » qu’elle a un jour rédigé montre la place absolument centrale qu’il occupait à la fois dans sa vie et dans sa vision du monde, que démontrent avec plus d’éclat encore certains passages de son journal comme celui-ci : « Diego commencement, Diego fondateur, Diego mon enfant, Diego chéri, Diego peintre, Diego mon amant, Diego « mon mari », Diego mon ami, Diego ma mère, Diego mon père, Diego mon fils, Diego moi, Diego univers, Diego diversité dans l’unité. »
« En dépit, des disputes, des brutalités, des actes de malveillance, et même d’un divorce » résume très bien leur ami commun Bertram D. Wolfe dans The Fabulous Life of Diego Rivera, « au plus profond de leur être ils continuèrent à donner la première place à l’autre. Ou, plutôt, pour lui, elle venait juste après sa peinture, et après la dramatisation de sa vie comme une succession de légendes, mais pour elle, il occupait la première place, même devant son art. »
Face à un telle combinaison de reconnaissance mutuelle entre deux créateurs et de dévotion totale d’une des deux parties envers l’autre, on pense un instant à Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, pour rejeter toutefois très rapidement la comparaison : Sartre et de Beauvoir étaient des intellectuels, et leur association pour la vie le produit d’un pacte conclu sous le signe de la rationalité. Avec Frida Kahlo et Diego Rivera, on se trouve face à une attraction mutuelle de nature physique investie d’une signification métaphysique, une union immergée dans l’élément de l’affectif où tout est gouverné par les émotions.
Cette dimension anti-intellectuelle de la personnalité de Frida Kahlo se retrouve dans sa peinture. Longtemps, on a qualifié ses toiles de surréalistes, et on sait que c’est comme cela qu’André Breton et ses disciples avaient décidé de la voir. Rien ne justifie cependant l’annexion de l’œuvre de Frida Kahlo à un mouvement et une doctrine qui sont en réalité complètement étrangers à son esprit. « L’art de Frida Kahlo », dit très bien Hayden Herrera, l’une des premières à avoir fait justice à cette interprétation erronée, « n’était pas le produit d’une culture européenne désillusionnée cherchant à échapper aux limites de la logique en sondant l’inconscient. Ses fantasmes étaient […] le produit de son tempérament, de sa vie, du lieu où elle vivait, ils étaient un moyen de faire face à la réalité, non d’aller au-delà de la réalité, dans un autre royaume. Son symbolisme était presque toujours autobiographique […] La magie dans l’art de Frida n’est pas la magie des montres molles, c’est la magie de son désir ardent que ses images, à l’instar des ex-voto, aient une certaine efficacité : elles étaient censées affecter la vie. »
Frida, qui avait eu l’occasion de côtoyer de très près les surréalistes, au Mexique mais aussi à Paris, s’exprimait d’ailleurs à leur sujet en des termes violemment hostiles et méprisants, montrant avec éloquence à quel point elle se sentait différente et loin d’eux : « Tu ne peux pas savoir quelle espèce de putes sont ces gens » écrivait-elle ainsi de Paris à une amie, « ils me font vomir. Ils sont tellement sacrément intellectuels et pourris que je ne peux plus les supporter. […] Ils restent assis durant des heures dans des « cafés » à chauffer leur précieux derrière et à parler sans s’arrêter de « la culture », « l’art », « la révolution », etc. »
Faire de sa vie une œuvre d’art
Si le rêve d’identifier, derrière son art et le théâtre de son existence, la « véritable » Frida Kahlo est pratiquement condamné à l’avance, parce qu’elle était authentiquement elle-même dans sa peinture et la mise en scène de sa vie, il est cependant un endroit où l’on a le sentiment de s’approcher d’elle d’aussi près qu’il est possible, d’entendre sa voix la plus personnelle et la plus intime : ses lettres. La correspondance de Frida Kahlo est riche et passionnante, aussi brûlante et émouvante que les célèbres lettres de Vincent Van Gogh à son frère Théo. En un sens, elle est même plus intéressante, parce qu’elle était une femme très intelligente et s’exprimait avec un réel talent d’écrivain. Contrairement à Van Gogh, Frida, dans ses lettres, ne traite quasiment pas de peinture et n’évoque pas ses propres toiles. Elle y parle essentiellement d’elle-même et de Diego Rivera, de sa vie, de ses sentiments, le cas échéant de politique et des personnes de leur entourage. Ces lettres sont adressées à ses amis et des amies, des amants ou amantes, un médecin qui sera son confident privilégié tout au long de sa vie, le Docteur Leo Eloesser (Querido Doctorcito), ainsi qu’à Diego Rivera. Elles sont rédigées dans un espagnol du Mexique élégant mais volontiers dialectal et argotique, et un américain (langue qu’elle maîtrisait parfaitement) fluide et tout aussi familier. Frida s’y montre séduisante et tragique, amoureuse et révoltée, souvent drôle et cruelle, et volontiers très crue. Elle s’y exprime dans un style imagé et imaginatif, disant par exemple à propos de ses habitudes alcooliques : « Je bois pour noyer mes chagrins, mais les maudites choses ont appris à nager » (Bebía porque quería ahogar mis penas, pero las malvadas aprendieron a nadar).
Dans ces lettres se donnent à contempler deux composantes fondamentales de la personnalité de Frida Kahlo. La première est son incontestable et flamboyant égocentrisme. « Je me peins moi-même », disait Frida Kahlo « parce que je suis souvent seule et que je suis le sujet que je connais le mieux ». On ne peint cependant pas la quantité incroyable d’autoportraits que nous a laissés Frida Kahlo, et presqu’exclusivement cela, sans être intéressé par sa propre personne et son image à un degré très supérieur à la norme. A l’évidence, pour des raisons indépendantes de son accident mais dont celui-ci a peut-être renforcé les effets, Frida était fascinée par elle-même, ses sentiments, ses émotions, son existence. Tirant les leçons du fort parfum d’auto-érotisme qui émane de beaucoup de ses toiles, certains n’ont d’ailleurs pas hésité à affirmer qu’au bout du compte, en dépit de la richesse et de la diversité de sa vie sentimentale, la seule personne dont Frida ait jamais été réellement amoureuse était elle-même.
Parce que créer exige une immense confiance en soi et n’est pas possible sans se concentrer sur soi-même et son œuvre, les artistes sont par définition égocentriques. Mais il y a deux sortes d’égocentriques : ceux qui s’absorbent complètement en eux-mêmes au point de perdre toute capacité de s’intéresser à un autre objet ; et ceux que leur forte conscience de ce qu’ils sont n’empêche nullement de rester passionnément curieux des autres et du monde, et qui rayonnent une forme spontanée de générosité. C’est dans cette seconde catégorie qu’entrait clairement Frida Kahlo, dont tous les témoins soulignent à quel point elle donnait d’elle-même : à Diego, ses amants, ses amis, aux jeunes hommes et jeunes femmes auxquels elle enseignait la peinture, à des enfants qui n’étaient pas les siens, puisqu’elle n’a pas pu en avoir, aux animaux auxquels elle était attachée, au monde en général.
Le second aspect qui ressort de sa correspondance est sa formidable vitalité, la force de son amour de la vie. En dépit, ou, sans doute, en raison même de tout ce dont elle a souffert, Frida Kahlo aimait la vie avec rage, la vie en général et la sienne en particulier. Elle l’aimait de manière passionnée, physique, possessive, dans sa beauté et son horreur, avec un sentiment jubilatoire de son caractère nécessairement aléatoire, unique et fini. « J'espère que la fin est heureuse » écrivait-elle fièrement dans son journal « et j'espère ne jamais revenir ». Et en guise d’ultime profession de foi ou de dernière provocation, à l’époque de la fin de sa vie où, parce qu’elle était fortement diminuée par la maladie et les traitements, son caractère s’était altéré et son inspiration s’était appauvrie, elle intitula la dernière toile qu’elle ait peinte, une nature morte représentant des pastèques d’un rouge éclatant et gorgées de jus : Viva la vida.
Des deux membres du couple de légende que formaient Frida Kahlo et Diego Rivera, ce dernier était incontestablement le plus grand artiste, un créateur plus puissant et plus varié qu’elle ne l’a jamais été. Mais au plan humain, Frida Kahlo était une personnalité au moins aussi forte, sans doute plus forte encore. Au-delà de la caricature et du portrait idéalisé et enchanté qu’on a fabriqué d’elle, demeure en effet l’image d’une femme étonnante et captivante, qui force le respect par ce qu’elle a réussi à faire de ce qui lui était arrivé.
Que serait devenue Frida Kahlo sans les deux « accidents » qui ont marqué son existence, celui qui l’a détruite physiquement (et plus généralement les maladies dont elle a souffert) et sa rencontre avec Diego Rivera ? Aurait-elle jamais peint ? Avec un caractère comme le sien, on la voit difficilement mener une existence conventionnelle et banale. Une chose est dans tous les cas certaine. L’objectif de tous les ambitieux, selon la formule consacrée, est de « de transformer leur vie en destin ». A l’inverse, Frida Kahlo, qui ne se voyait pas avant tout comme peintre et artiste, s’est emparée de ce que le destin lui avait réservé pour en faire, à côté de tout ce qu’elle aimait par ailleurs, la matière de son œuvre, dans l’objectif ultime de conférer à son existence l’allure et les qualités d’une œuvre d’art. Entreprise audacieuse et remarquable, dont le succès apparent explique sans doute pour quelle raison sa vie et sa personne n’ont pas fini de nous fasciner.
On a dit de la peintre mexicaine Frida Kahlo qu’elle était la femme artiste la plus connue du XXe siècle, voire de l’histoire entière, ce qui est sans doute exact mais aussi un peu paradoxal : si ses tableaux troublants et originaux sont bien ce qui l’a initialement fait connaître, l’explication de sa célébrité déborde à l’évidence de beaucoup son art et sa place dans l’histoire de la peinture. De fait, autant qu’à cause de ses œuvres, Frida Kahlo est aujourd’hui connue de millions de gens en raison de sa vie, plus particulièrement comme membre du couple mythologique qu’elle formait avec le peintre muraliste Diego Rivera.
Dans son film Frida, fait observer le critique cinématographique David Edelstein, la réalisatrice Julie Traymor prints the legend. Le sens de cette remarque n’est pas l’idée banale que le film privilégie la légende sur la réalité des faits. Edelstein, qui connait ses classiques, fait ici référence à une des plus célèbres lignes de dialogue de l’histoire du cinéma, la phrase prononcée par le rédacteur en chef d’un journal à la fin de The Man Who Shot Liberty Valance, de John Ford : When the legend becomes facts, print the legend. C’est précisément ce qui s’est passé dans le cas de Frida Kahlo : la légende est devenue la réalité, et cela d’autant plus facilement que la réalité incluait déjà la légende.
En passant des heures à se costumer en tenue traditionnelle des Indiennes Tehuana et à se « décorer » de fleurs et de rubans avant de sortir faire son marché, Frida, relève l’actrice Salma Hayek, qui l’a incarnée dans ce film, « faisait d’elle-même une œuvre d’art ». On connait le mot d’Oscar Wilde, qui affirmait avoir mis son talent dans ses livres et son génie dans sa vie. Dans le même esprit, mais en plus fort et plus profond, l’incontestable génie de Frida s’exprimait indissolublement dans son œuvre, son apparence, sa vie, son comportement, ainsi que dans le mythe qu’elle a aidé à créer à son sujet de son vivant, qui explique avec quelle facilité elle a pu ultérieurement devenir l’icône des féministes, des folkloristes et des tiers-mondistes, et une figure tout indiquée pour un mélodrame biographique hollywoodien : elle avait elle-même largement préparé le terrain.
Le paradoxe est qu’on peut parfaitement prendre conscience de ceci sans cesser d’être fasciné par Frida Kahlo, souvent, la fascination qu’on éprouve pour elle s’en trouve même accrue. C’est ce qui m’est arrivé. Comme beaucoup de francophones, j’ai découvert la personnalité de Frida Kahlo grâce au beau livre de J. M. G. Le Clézio, Diego et Frida. Accroché par le personnage, j’ai cherché à en savoir davantage. A côté de celui de Le Clézio, les meilleurs livres sur elle datent d’une vingtaine d’année. Ce sont les deux ouvrages que lui a consacrés la critique d’art argentine Raquel Tibol, qui l’a connue et a été son amie (Frida Kahlo : a vida abierta et Frida Kahlo en su luz más intíma), ainsi que Frida: A Biography of Frida Kahlo de l’américaine Hayden Herrera, un modèle de biographie de peintre et d’artiste et l’une des meilleures biographies tout court qu’il m’ait jamais été donné d’avoir en main. Je suis sorti de sa lecture avec davantage encore d’admiration pour Frida Kahlo que j’en éprouvais avant de l’ouvrir.
Souffrance et passion
« Dans ma vie » aimait dire Frida Kahlo avec ce sens de la formule, ce goût de l’exagération et cet humour volontiers sarcastique qui la caractérisait, « j’ai été victime de deux graves accidents. L’un, lorsque j’ai été écrasé dans un autobus…Le second accident est Diego. »
Comme on le sait, la vie de Frida Kahlo a été un véritable calvaire de souffrances physiques. Atteinte, à l’âge de six ans, d’une poliomyélite qui lui laissera la jambe et le pied droits déformés ; souffrant peut-être, avant même cet épisode (l’hypothèse a été avancée), d’une anomalie congénitale de la colonne vertébrale - la spina bifida - dont ces déformations pourraient être aussi le signe et la conséquence, elle a été victime à l’âge de dix-huit ans d’un terrible accident de la circulation, dont elle sortira très gravement blessée : la colonne vertébrale fracturée en plusieurs endroits, la jambe droite réduite en miettes et le pied droit disloqué, le bassin écrasé. Une main courante métallique de l’autobus dans lequel elle voyageait lui avait de surcroît littéralement traversé le corps, lui déchirant l’abdomen. Toute sa vie, elle souffrira d’atroces douleurs dans le dos, la jambe et le pied droits. A son grand chagrin, jamais elle ne put mener à bonne fin une grossesse, toutes les tentatives finissant en fausses couches. Opérée à plus de trente reprises, sans résultats et souvent sans nécessité, elle dut porter un corset et rester allongée durant parfois de très longues périodes. Les traitements et les interventions occasionnant eux-mêmes de nouveaux troubles, les dernières années de sa vie ont été particulièrement pénibles, une lancinante et interminable souffrance qu’elle atténuait à l’aide d’antidouleurs à base de morphine, dont elle devint dépendante. Les ulcérations qui s’étaient installées sur sa jambe et son pied droits ne guérissant pas et se gangrénant, on dut finalement l’amputer. Quelques mois après, elle mourait, à l’âge de quarante-sept ans.
La souffrance physique est à l’origine de la peinture de Frida Kaho, qui a pris pour la première fois les pinceaux en mains pour combattre les longues journées d’ennui de la vie à l’hôpital par une activité à laquelle elle pouvait se livrer couchée. Elle est aussi un thème dominant de ses toiles, dans lesquelles elle s’est souvent employée à exorciser sa douleur et son humiliation par la représentation de son corps maltraité, dans la crudité de sa réalité anatomique et médicale.
À côté de la blessure et de la détresse physique, un autre thème récurrent des peintures de Frida Kahlo est son amour pour Diego Rivera, qui a clairement été la grande affaire de sa vie, comme elle de la sienne, d’ailleurs, mais dans une moindre mesure. Diego et Frida constituaient un couple étonnant et improbable : dominant Frida Kahlo de plus d’une tête, doté d’un ventre proéminent, Rivera était aussi grand et énorme qu’elle était menue et gracile, et le couple qu’ils formaient l’un à côté de l’autre si étrange que leur union a été décrite comme celle d’un éléphant et d’une colombe. Mythomane, fabulateur (il inventait les trois-quarts de ce qu’il racontait, plus particulièrement au sujet de sa vie), d’une ahurissante puissance de travail et une vraie force de la nature, animé d’un égoïsme d’enfant, Diego Rivera était un personnage monstrueux dans le sens littéral du terme, un phénomène, et pas uniquement dans son apparence physique.
Entre deux personnalités de ce profil et ce calibre, les rapports ne pouvaient guère être simples et paisibles. De fait, leurs relations ont été tumultueuses à souhait. Constitutivement « inapte à la monogamie », incorrigible coureur de femmes, considérant le rapport physique entre individus de sexe différent comme l’exercice d’une fonction biologique, Diego Rivera multipliait les aventures. La plus difficile à supporter pour Frida, et celle qui l’a meurtrie le plus profondément, a eu pour objet sa propre sœur, d’un an plus jeune qu’elle. Un peu en guise de représailles, mais aussi parce qu’elle avait en avait le goût et peu de préjugés dans ce domaine, Frida a eu de son côté de très nombreuses « affaires » et liaisons, certaines longues et sérieuses, dont une des plus fameuses avec Léon Trotsky ; des liaisons avec des hommes, mais aussi des femmes, notamment plusieurs amantes ou anciennes amantes de Diego. Diego les acceptait, voire même les considérait avec complaisance lorsqu’elles concernaient des femmes, mais ne les supportait pas lorsqu’il s’agissait d’autres hommes, raison pour laquelle elle devait les lui cacher, parce qu’il était d’un tempérament latin jaloux et violent. Pour toute une série de raisons dont les biographes s’évertuent à débrouiller l’écheveau compliqué, Diego et Frida, qui avaient habité dans deux maisons jumelées réunies par une passerelle, finirent par divorcer, pour se remarier plusieurs années plus tard, sans se remettre cependant à vivre comme mari et femme, en tous cas d’après la version officielle.
Au bout du compte, ils tenaient en effet férocement l’un à l’autre et pouvaient difficilement concevoir leur vie l’un sans l’autre (dans son autobiographie, Diego Rivera a déclaré que le jour de la mort de Frida avait été « le plus tragique de sa vie »). Qu’est-ce qui les tenait ainsi soudés ensemble ? Comme souvent, un mélange d’intérêts communs et de passions partagées, de sentiments réciproques et de complémentarités. Diego et Frida vivaient tous les deux largement pour leur art, ils croyaient tous les deux (elle plus encore que lui) au communisme et à la révolution, ils voulaient aider les Mexicains à retrouver et mettre en valeur les traditions indiennes. Ils se respectaient de surcroît mutuellement comme artistes, reconnaissaient et admiraient chacun avec ostentation le talent de l’autre. On a par ailleurs souvent souligné (Frida la première) tout ce qu’il y avait de féminin chez Diego Rivera ; réciproquement, Frida Kahlo, dont on a conservé des photos en vêtements d’homme, qui buvait, fumait, s’exprimait volontiers grossièrement et tenait beaucoup au léger duvet qui ombrait sa lèvre supérieure, cultivait la composante masculine de sa personnalité. Dans l’ensemble, elle était cependant pour le monstrueux enfant qu’était Diego une figure avant tout maternelle, une mère bienveillante apaisant ses états d’âme et mettant de l’ordre dans sa vie chaotique.
Du côté de Frida, les choses sont plus compliquées. Qu’était exactement Diego pour elle ? L’assez stupéfiant « portrait de Diego » qu’elle a un jour rédigé montre la place absolument centrale qu’il occupait à la fois dans sa vie et dans sa vision du monde, que démontrent avec plus d’éclat encore certains passages de son journal comme celui-ci : « Diego commencement, Diego fondateur, Diego mon enfant, Diego chéri, Diego peintre, Diego mon amant, Diego « mon mari », Diego mon ami, Diego ma mère, Diego mon père, Diego mon fils, Diego moi, Diego univers, Diego diversité dans l’unité. »
« En dépit, des disputes, des brutalités, des actes de malveillance, et même d’un divorce » résume très bien leur ami commun Bertram D. Wolfe dans The Fabulous Life of Diego Rivera, « au plus profond de leur être ils continuèrent à donner la première place à l’autre. Ou, plutôt, pour lui, elle venait juste après sa peinture, et après la dramatisation de sa vie comme une succession de légendes, mais pour elle, il occupait la première place, même devant son art. »
Face à un telle combinaison de reconnaissance mutuelle entre deux créateurs et de dévotion totale d’une des deux parties envers l’autre, on pense un instant à Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, pour rejeter toutefois très rapidement la comparaison : Sartre et de Beauvoir étaient des intellectuels, et leur association pour la vie le produit d’un pacte conclu sous le signe de la rationalité. Avec Frida Kahlo et Diego Rivera, on se trouve face à une attraction mutuelle de nature physique investie d’une signification métaphysique, une union immergée dans l’élément de l’affectif où tout est gouverné par les émotions.
Cette dimension anti-intellectuelle de la personnalité de Frida Kahlo se retrouve dans sa peinture. Longtemps, on a qualifié ses toiles de surréalistes, et on sait que c’est comme cela qu’André Breton et ses disciples avaient décidé de la voir. Rien ne justifie cependant l’annexion de l’œuvre de Frida Kahlo à un mouvement et une doctrine qui sont en réalité complètement étrangers à son esprit. « L’art de Frida Kahlo », dit très bien Hayden Herrera, l’une des premières à avoir fait justice à cette interprétation erronée, « n’était pas le produit d’une culture européenne désillusionnée cherchant à échapper aux limites de la logique en sondant l’inconscient. Ses fantasmes étaient […] le produit de son tempérament, de sa vie, du lieu où elle vivait, ils étaient un moyen de faire face à la réalité, non d’aller au-delà de la réalité, dans un autre royaume. Son symbolisme était presque toujours autobiographique […] La magie dans l’art de Frida n’est pas la magie des montres molles, c’est la magie de son désir ardent que ses images, à l’instar des ex-voto, aient une certaine efficacité : elles étaient censées affecter la vie. »
Frida, qui avait eu l’occasion de côtoyer de très près les surréalistes, au Mexique mais aussi à Paris, s’exprimait d’ailleurs à leur sujet en des termes violemment hostiles et méprisants, montrant avec éloquence à quel point elle se sentait différente et loin d’eux : « Tu ne peux pas savoir quelle espèce de putes sont ces gens » écrivait-elle ainsi de Paris à une amie, « ils me font vomir. Ils sont tellement sacrément intellectuels et pourris que je ne peux plus les supporter. […] Ils restent assis durant des heures dans des « cafés » à chauffer leur précieux derrière et à parler sans s’arrêter de « la culture », « l’art », « la révolution », etc. »
Faire de sa vie une œuvre d’art
Si le rêve d’identifier, derrière son art et le théâtre de son existence, la « véritable » Frida Kahlo est pratiquement condamné à l’avance, parce qu’elle était authentiquement elle-même dans sa peinture et la mise en scène de sa vie, il est cependant un endroit où l’on a le sentiment de s’approcher d’elle d’aussi près qu’il est possible, d’entendre sa voix la plus personnelle et la plus intime : ses lettres. La correspondance de Frida Kahlo est riche et passionnante, aussi brûlante et émouvante que les célèbres lettres de Vincent Van Gogh à son frère Théo. En un sens, elle est même plus intéressante, parce qu’elle était une femme très intelligente et s’exprimait avec un réel talent d’écrivain. Contrairement à Van Gogh, Frida, dans ses lettres, ne traite quasiment pas de peinture et n’évoque pas ses propres toiles. Elle y parle essentiellement d’elle-même et de Diego Rivera, de sa vie, de ses sentiments, le cas échéant de politique et des personnes de leur entourage. Ces lettres sont adressées à ses amis et des amies, des amants ou amantes, un médecin qui sera son confident privilégié tout au long de sa vie, le Docteur Leo Eloesser (Querido Doctorcito), ainsi qu’à Diego Rivera. Elles sont rédigées dans un espagnol du Mexique élégant mais volontiers dialectal et argotique, et un américain (langue qu’elle maîtrisait parfaitement) fluide et tout aussi familier. Frida s’y montre séduisante et tragique, amoureuse et révoltée, souvent drôle et cruelle, et volontiers très crue. Elle s’y exprime dans un style imagé et imaginatif, disant par exemple à propos de ses habitudes alcooliques : « Je bois pour noyer mes chagrins, mais les maudites choses ont appris à nager » (Bebía porque quería ahogar mis penas, pero las malvadas aprendieron a nadar).
Dans ces lettres se donnent à contempler deux composantes fondamentales de la personnalité de Frida Kahlo. La première est son incontestable et flamboyant égocentrisme. « Je me peins moi-même », disait Frida Kahlo « parce que je suis souvent seule et que je suis le sujet que je connais le mieux ». On ne peint cependant pas la quantité incroyable d’autoportraits que nous a laissés Frida Kahlo, et presqu’exclusivement cela, sans être intéressé par sa propre personne et son image à un degré très supérieur à la norme. A l’évidence, pour des raisons indépendantes de son accident mais dont celui-ci a peut-être renforcé les effets, Frida était fascinée par elle-même, ses sentiments, ses émotions, son existence. Tirant les leçons du fort parfum d’auto-érotisme qui émane de beaucoup de ses toiles, certains n’ont d’ailleurs pas hésité à affirmer qu’au bout du compte, en dépit de la richesse et de la diversité de sa vie sentimentale, la seule personne dont Frida ait jamais été réellement amoureuse était elle-même.
Parce que créer exige une immense confiance en soi et n’est pas possible sans se concentrer sur soi-même et son œuvre, les artistes sont par définition égocentriques. Mais il y a deux sortes d’égocentriques : ceux qui s’absorbent complètement en eux-mêmes au point de perdre toute capacité de s’intéresser à un autre objet ; et ceux que leur forte conscience de ce qu’ils sont n’empêche nullement de rester passionnément curieux des autres et du monde, et qui rayonnent une forme spontanée de générosité. C’est dans cette seconde catégorie qu’entrait clairement Frida Kahlo, dont tous les témoins soulignent à quel point elle donnait d’elle-même : à Diego, ses amants, ses amis, aux jeunes hommes et jeunes femmes auxquels elle enseignait la peinture, à des enfants qui n’étaient pas les siens, puisqu’elle n’a pas pu en avoir, aux animaux auxquels elle était attachée, au monde en général.
Le second aspect qui ressort de sa correspondance est sa formidable vitalité, la force de son amour de la vie. En dépit, ou, sans doute, en raison même de tout ce dont elle a souffert, Frida Kahlo aimait la vie avec rage, la vie en général et la sienne en particulier. Elle l’aimait de manière passionnée, physique, possessive, dans sa beauté et son horreur, avec un sentiment jubilatoire de son caractère nécessairement aléatoire, unique et fini. « J'espère que la fin est heureuse » écrivait-elle fièrement dans son journal « et j'espère ne jamais revenir ». Et en guise d’ultime profession de foi ou de dernière provocation, à l’époque de la fin de sa vie où, parce qu’elle était fortement diminuée par la maladie et les traitements, son caractère s’était altéré et son inspiration s’était appauvrie, elle intitula la dernière toile qu’elle ait peinte, une nature morte représentant des pastèques d’un rouge éclatant et gorgées de jus : Viva la vida.
Des deux membres du couple de légende que formaient Frida Kahlo et Diego Rivera, ce dernier était incontestablement le plus grand artiste, un créateur plus puissant et plus varié qu’elle ne l’a jamais été. Mais au plan humain, Frida Kahlo était une personnalité au moins aussi forte, sans doute plus forte encore. Au-delà de la caricature et du portrait idéalisé et enchanté qu’on a fabriqué d’elle, demeure en effet l’image d’une femme étonnante et captivante, qui force le respect par ce qu’elle a réussi à faire de ce qui lui était arrivé.
Que serait devenue Frida Kahlo sans les deux « accidents » qui ont marqué son existence, celui qui l’a détruite physiquement (et plus généralement les maladies dont elle a souffert) et sa rencontre avec Diego Rivera ? Aurait-elle jamais peint ? Avec un caractère comme le sien, on la voit difficilement mener une existence conventionnelle et banale. Une chose est dans tous les cas certaine. L’objectif de tous les ambitieux, selon la formule consacrée, est de « de transformer leur vie en destin ». A l’inverse, Frida Kahlo, qui ne se voyait pas avant tout comme peintre et artiste, s’est emparée de ce que le destin lui avait réservé pour en faire, à côté de tout ce qu’elle aimait par ailleurs, la matière de son œuvre, dans l’objectif ultime de conférer à son existence l’allure et les qualités d’une œuvre d’art. Entreprise audacieuse et remarquable, dont le succès apparent explique sans doute pour quelle raison sa vie et sa personne n’ont pas fini de nous fasciner.